Des Etats aux pratiques démocratiques douteuses volent aux secours des banques américaines. Banques au dessus de tout soupçons mais dont la gestion pose tout de même question…
Rien n’illustre mieux le nouvel ordre financier mondial que l’intervention cet hiver des “fonds souverains”, venus, tels des chevaliers blancs, à la rescousse des grandes banques d’affaires de la planète. Voici un bilan partiel de ce qu’elles ont reçu:
Citigroup: 7,5 milliards de dollars [5,2 milliards d’euros] de l’Abu Dhabi Investment Authoritv et 6,8 milliards de dollars de la Government Investment Corporation de Singapour (GIC).
Morgan Stanley: 5 milliards de dollars de la China Investment Corporation (CIC).
Merrill Lynch: 5 milliards de dollars du Temasek Holdings (Singapour), 6,5 milliards de dollars de la Kuwait lnvestment Authority, 2 milliards de dollars de la Korean Investment Corporation.
Bear Stearns: 1 milliard de dollars de la CIC.
UBS:10 milliards de dollars de la GIC.
Un fonds souverain est un fonds d’investissement détenu par un Etat. Ces institutions prolifèrent depuis quelques temps, en raison de la hausse des prix pétroliers et du dynamisme des économies est-asiatiques. On estime qu’elles possèdent environ 2.200 milliards de dollars d’actifs, et ce chiffre pourrait atteindre en moins d’une décennie 12.000 milliards de dollars, voire davantage. Mais les chiffres ne rendent pas compte de toute la réalité. En 1991, l’Union soviétique s’effondrait et les pays occidentaux dansaient la gigue sur la tombe du communisme. Moins de vingt ans après, le capitalisme d’Etat menace soudainement le libre jeu des mécanismes du marché. Les grandes banques de WaIl Street, après avoir longtemps été des combattants de la liberté, des apôtres de la déréglementation, hostiles à toute intervention des Etats sur le marché, agitent maintenant leur sébile devant des régimes dont certains comptent parmi les plus autoritaires et les moins démocratiques de la planète.
Au Congrès américain, des représentants de tous bords s’inquiètent, au nom de la sécurité nationale, de voir des gouvernements étrangers acquérir des participations (même sans majorité de contrôle) dans des institutions financières essentielles. Pour certains conservateurs, le choc des civilisations ne fait pas que porter sur le contrôle géopolitique des actifs; il pose aussi de graves problèmes idéologiques que beaucoup croyaient bel et bien réglés. En proie à la plus grande agitation, ils craignent que les apports de fonds effectués par des Etats qui obéissent à des motivations non pas purement économiques, mais aussi stratégiques, ne déstabilisent les marchés mondiaux.
Extrait de l'article "Comment Wall Street a cassé son jouet", Andrew Leonard [Courrier International n°899]