"La domination qu'exercent les moines du Tibet est absolue. C'est l'exemple type de la dictature cléricale". Heinrich Harrer, "Sept ans d'aventure au Tibet".
"Jamais n'a existé un pouvoir théocratique aussi puissant et aussi riche dans le monde. C'était incomparable avec ce qui se passait chez nous au Moyen-Âge où les monastères devaient se faire une petite place à l'ombre des châteaux forts." Elisabeth Martens, 20 ans au Tibet.
"Les violences qui ont eu lieu à Lhassa le 14 mars 2008 ont été perpétrées par des groupes de manifestants tibétains. Les agressions visaient les Chinois (les Han) et les Hui, majoritairement des Musulmans. Des personnes ont été incendiées vives, d'autres ont été battues à mort, déchiquetées au couteau ou lapidées." Témoignages concordants des étrangers présents sur place.
"Le Tibet devient stratégiquement et idéologiquement important. Puisque l'indépendance du Tibet peut servir la lutte contre le communisme, il est de notre intérêt de le reconnaître comme indépendant (…) Toutefois, ce n'est pas le Tibet qui nous intéresse, c'est l'attitude que nous devons adopter vis-à-vis de la Chine" rapport de l'Office des Affaires Etrangères des Etats-Unis en avril 49.
Quelques faits
La rébellion armée, qui démarre du monastère de Litang, s'étend par vagues jusqu'à Lhassa, où a eu lieu la plus importante, celle qui a été écrasée par l'Armée rouge en 1959. Suite à cet événement, il était de grande importance pour les Etats-Unis d'amener l'opinion publique à croire qu'il s'agissait d'un génocide, c'est pourquoi le chiffre de 1,2 million de morts a été avancé par les autorités du Bouddhisme tibétain en exil. Plusieurs études démographiques ont démontré par la suite que ce chiffre a été inventé de toute pièce.
En outre, le Tibet n'a jamais été reconnu comme "pays indépendant". Au 13ème siècle, le Tibet est annexé à la Chine par les Mongols, et au 18ème les Mandchous ont divisé leur empire chinois en 18 provinces, dont la province tibétaine. Fin du 19ème, l'empire britannique envahit le Tibet et y installe ses comptoirs de commerce.
Cela se passe sous le règne du 13ème Dalaï Lama, qui voit dans l'occupation anglaise du Tibet une opportunité pour revendiquer l'indépendance. Il se base pour cela sur ce qu'il a appelé le "Grand Tibet" : un territoire qui équivaut à cinq fois la France, quasi le tiers de la Chine, et qui correspond plus ou moins (parce qu'il n'y avait pas de cartes à l'époque) à ce qu'était le Tibet à la fin de la dynastie des Tubo, au 9ème siècle. C'est comme si maintenant on revendiquait l'empire de Charlemagne!
Et la "répression chinoise" alors?
La pratique religieuse est loin d'être réprimée. Il faudrait être vraiment de mauvaise foi pour prétendre le contraire! Ou bien, il faut n'avoir jamais été au Tibet. Dans l'enseignement, le bilinguisme est obligatoire et pratiqué dans toutes les écoles que nous avons visitées (primaires, secondaires et supérieures) ; des instituts de tibétologie ont été ouvert à l'intention des jeunes tibétains (ou autres) qui désirent approfondir l'étude de la culture tibétaine : y sont donnés des cours de langue, de médecine, de théologie, de musique et danse, de pratiques artisanales, etc.
Que dit le droit international? "Chaque pays a le droit d'utiliser la force contre des mouvements d'indépendance qui vise à la division du dit pays". Imaginez le foin que cela ferait en France si le mouvement séparatiste corse se mettait à incendier des passants français en plein Ajjacio!
Ce qui est interdit et sévèrement puni est toute tentative de "séparatisme", ou de division de la Chine. Cela peut être des actes qui paraissent anodins chez nous, comme porter le drapeau tibétain en rue (drapeau qui a été inventé en 59, lors de l'exil, et qui a donc une couleur politique), ou distribuer des tracts en rue, ou distribuer la photo du Dalaï Lama (qui est une effigie politique), ou organiser des manifestations, etc. Pour ce genre d'actions, il y a très rapidement (trop rapidement sans doute?) arrestation, et parfois emprisonnement. La Chine est drastique à ce sujet parce qu'elle sait que le soutien à ce mouvement pour l'indépendance du Tibet est énorme, que ce soutien vient de l'Occident et vise la division de la Chine. Le contentieux ne concerne pas tant les six millions de Tibétains de Chine face à la Chine, mais c'est un contentieux qui oppose la Chine à l'Occident et qui s'exprime par le malaise économique que connaît actuellement le Tibet.
Qu'on dise chez nous que la Chine est "répressive", d'accord dans une certaine mesure, mais expliquez-moi comment il se fait alors que proportionnellement elle compte cinq fois moins de prisonniers qu'aux Etats-Unis? Qu'on dise chez nous que la Chine est "totalitaire" : d'accord pour dire qu'elle reste communiste, mais est-ce automatiquement synonyme de "totalitaire"? D'ailleurs, ce qui nous gêne, ce n'est pas tant qu'elle soit communiste, mais c'est qu'elle protège son "territoire économique" : ni les Etats-Unis ni l'Union Européenne ne peuvent y faire ce qu'ils veulent à leur propre guise, et cela ne plaît pas du tout aux multinationales. Les investissements étrangers en Chine ne dépassent pas 3% : ce n'est pas un beau cadeau pour nos multinationales!
Pourquoi un tel sentiment pro-Tibétain en occident, notamment dans les médias?
L'opinion publique suit les médias et les médias obéissent aux intérêts économiques. Ne vit-on pas dans une dictature économique chez nous? La censure est aussi réelle ici qu'ailleurs, mais mieux camouflée. En Occident, on n'est pas enfermé en prison pour ses opinions, mais bien dans sa tête, puis dans la maladie qui en résulte. Je me demande parfois ce qui vaut mieux. Donc votre question réelle devient : "comment expliquer le sentiment pro-tibétain véhiculé par notre système économique"? Ni les Etats-Unis, ni l'Europe n'apprécient les avancées fulgurantes de la Chine sur la scène internationale. Tous les coups sont bons pour la contrecarrer : "Il faut foutre le bordel pendant les JO à Pékin!" crie Cohn-Bendit dans son discours en séance plénière à propos du comportement que l'Union Européenne doit adopter face à la Chine. Ceci, pas même une semaine après les événements qui ont enflammé le cœur de Lhassa! C'est assez monstrueux, mais cela démontre par "a+b" que le "grand monde de la diplomatie et du trust financier" n'a cure du Tibet, ce qui lui importe c'est "foutre le bordel en Chine".
Comment faire avaler cette pilule au grand public occidental, en ne perdant surtout pas l'approbation des intellectuels? Pour cela, on fait appel à Sa Sainteté qui par son sourire de neiges éternelles ferait fondre un chat devant une souris. Le Bouddhisme tibétain ne s'est-il pas habillé de ses plus beaux atours pour séduire un Occident "en vide de valeurs spirituelles"? Entré chez nous en surfant sur la vague du "retour aux sources" des années 70, il ne lui fut pas difficile de se faire passer pour le dharma, présenté à nous comme un "athéisme spirituel", une philosophie de vie, un mode d'être, une thérapie intérieure, etc., bref, tout sauf une religion.
Or, si on y regarde d'un peu plus près, le Bouddhisme du Bouddha est déjà une religion puisqu'il propose une transcendance : un au-delà des souffrances résultant de nos limites physiques et temporelles. Est-ce qu'un au-delà, ou une transcendance, n'implique pas une foi? Le Bouddhisme tibétain est encore plus une religion, puisqu'il a réintroduit des dogmes, dont le plus fameux : la réincarnation, justement celui contre lequel s'est insurgé le Bouddha en personne! La réincarnation a été remise à l'honneur par le Bouddhisme tibétain au 14ème siècle, pour pouvoir officialiser la succession de l'héritage spirituel, temporel et, surtout, matériel d'un Rinpoché (ou responsable de monastère) vers le suivant, par le système des tulkous (qui compte avec la croyance en la réincarnation). Etre responsable d'un monastère au Tibet à l'époque féodale, c'était être grand propriétaire foncier : les terres, et les biens sur ces terres, y compris les serfs, appartenaient au monastère. Cela explique pourquoi il y eut tant d'assassinats dans les rangs du haut clergé tibétain et de guerres entre les différentes écoles du Bouddhisme tibétain.
Bref, le Bouddhisme, grâce à son caractère très plastique s'est adapté aux différents environnements où il a élu domicile, que ce soit au Tibet, ou au 20ème chez nous... où Sa Sainteté le Dalaï Lama se plait à nous servir quelques louches de démocratie, avec une cuillère à soupe de Droits de l'homme, et autant de liberté d'expression, à mélanger consciencieusement à une bonne pincée de tolérance et de compassion bouddhistes, et on obtient une pâte bien lisse prête à enfourner dans les hauts fourneaux médiatiques pour en faire une succulente tarte à la crème! Que le Bouddhisme s'adapte, c'est un signe de bonne santé! Ce qui est beaucoup plus malsain, c'est un Dalaï Lama qui fait passer le Bouddhisme tibétain pour une non-religion (une philosophie) de tolérance et de compassion dénuée d'implications politiques. Là, il y a vraiment de quoi s'esclaffer (bien que ce ne soit pas une bonne blague)!
Extrait d'un entretien avec Elisabeth Martens auteur du livre "Histoire du Bouddhisme tibétain, la Compassion des Puissants", L’Harmattan 2007.
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