L'approvisionnement en eau douce de qualité n'est pas trivial. Notre planète est couverte à 71% d'eau salée. Cette surface contient 97,2% du volume d'eau total. Les 2,8% d'eau douce restant se répartissent en 2,2% pour les glaciers, 0,6% pour les nappes phréatiques et SEULEMENT 0,01% pour les eaux douces de surfaces: cours d'eau, lacs et rivières. Ce sont ces 0,01% qui refroidissent nos centrales, alimentent nos usines, abreuvent nos industries, maisons et gosiers… Dans 99,9% des cas, cette eau ressort toujours plus sale et plus polluée qu'a son entrée. Alors, en bon humain technocrate qui ne pense qu'à court terme, nous cherchons des solutions...
Pour y voir clair, voici une bonne partie d'un article paru dans le dossier écologie du Courrier International n°927 du 1er au 20 août 2008 (1). Enfin, je trouve le temps d'en parler!
DES USINES DE DESSALEMENT QUI POUSSENT COMME DES CHAMPIGNONS
Avec la diminution des précipitations qu’entraîne le réchauffement climatique, de nombreux pays se tournent vers le dessalement d’eau de mer pour s’approvisionner en eau douce. La logique est en apparence simple : plus de 70 % de notre planète étant constitués d’océans, il suffit de retirer le sel de cette eau et de regarder avec délectation nos réservoirs se remplir. Les usines de dessalement poussent d’ailleurs comme des champignons un peu partout dans le monde (surtout dans les pays riches). Severn Trent, l’une des dix entreprises privées de gestion de l’eau au Royaume-Uni, assure actuellement la construction d’une de ces installations pour la résidence Maravia Country Club Estates à La Paz, dans le sud de la Basse-Californie, au Mexique. La ville d’El Paso, au Texas, a inauguré en août 2007 la plus grande usine de dessalement à l’intérieur des terres qui existe au monde ; elle alimente essentiellement la base militaire de Fort Bliss, en cours d’agrandissement. En Australie, pays gravement touché par la sécheresse, c’est un joint-venture israélien qui bâtit une centrale, tandis qu’à Bahreïn, Etat riche en pétrodollars et connaissant le même boom immobilier que d’autres pays du Moyen-Orient, on examine diverses offres en vue de la construction d’une gigantesque centrale capable de satisfaire ses besoins croissants en eau. L’Inde a quant à elle commandé une étude de faisabilité à General Electric. Bref, les exemples ne manquent pas. “Plusieurs entreprises privées proposent une bonne vingtaine d’usines de dessalement de l’eau de mer pour la seule côte californienne”, ajoute Wenonah Hauter, présidente de l’association de consommateurs Food and Water Watch. “La plupart de ces projets se trouvent à proximité de grands espaces où le manque d’eau a toujours limité le développement.” En d’autres termes, partout dans le monde on s’apprête à construire de gigantesques usines de dessalement dans les années à venir. Mais ce n’est pas parce que tout le monde a soif. En fait, c’est surtout l’argent qui va couler à flots. Reste à savoir si les progrès et la solution à la crise de l'eau viendront avec.
“Même avec les projets actuels, qui visent à tripler la production mondiale, avec notamment des usines de dessalement à énergie nucléaire, cette technologie est incapable de satisfaire la demande en eau douce dans le monde, assure Maude Barlow (auteur de Blue Covenant: The Global Water Crisis and the Coming Battle for the Right to Water [Alliance bleue : la crise mondiale de l’eau et la future bataille pour le droit à l’eau, paru chez New Press en mars 2008], fondatrice du Blue Planet Project et directrice nationale du groupe de pression Council of Canadians). D’une part parce que le dessalement est une technologie très coûteuse, ce qui explique qu’on trouve ces usines surtout en Arabie Saoudite, Israël, Australie, Etats-Unis mais peu en Afrique et Amérique Latine (légèrement changé par rapport au texte original (1)). Et, d’autre part, parce que l’humanité détruit son patrimoine d’eau douce trop rapidement pour que, la technologie puisse compenser. Les gouvernements et les entreprises se jettent sur le dessalement comme si c’était la panacée. C’est compréhensible de la part du secteur privé : l’or bleu peut générer des bénéfices considérables. En revanche, le fait que les gouvernements ne prennent aucun recul pour examiner de façon plus attentive cette prétendue solution miracle pose un énorme problème.”
LES OCÉANS SONT PEU À PEU RONGÉS PAR L’ACIDE
Cet aveuglement est compréhensible, car en prenant un peu de distance, ces gouvernements tomberaient immanquablement sur des questions qu’ils n’ont pas envie de se poser. Des études récentes montrent ainsi que le réchauffement climatique provoque non seulement l’assèchement des terres émergées et la fonte des barrières de glace, mais aussi une augmentation exponentielle de l’acidité des océans (2, 3 & 4). Ce qui pourrait nous conduire tout droit au cauchemar annoncé par Stephen Hawking: "la Terre pourrait finir comme Venus, avec une température de 250°C et des pluies d'acide sulfurique."
Le journaliste Les Blumenthal expliquait récemment dans les publications du groupe de presse américain McClatchy Newspapers que les océans présentent d’ores et déjà un taux d’acidité de 30% supérieur à celui enregistré au début de la révolution industrielle, et ils absorbent chaque jour 22 tonnes de dioxyde de carbone. D’ici à la fin de ce siècle, ils pourraient être 150% plus acides.
L’acidification des océans est provoquée par l’absorption dans la mer du CO2 produit par les activités humaines, à raison de 22 millions de tonnes par jour. Il en résulte une formation d’acide carbonique ayant pour effet de diminuer la quantité de minéraux nécessaires au développement d’un certain nombre d’organismes marins (3 & 4).
La vaste campagne mondiale de dessalement, déjà montrée du doigt à cause de ses lacunes technologiques et de ses rejets colossaux, tient-elle compte de cette augmentation spectaculaire de l’acidité des océans ? Eh bien non, pas vraiment. Je ne pense pas que les partisans du dessalement prennent en compte l’acidification qu’entraîneront des rejets croissants de saumure dans les mers, confirme Maude Barlow. Pour chaque unité d’eau douce ainsi produite, c’est une unité équivalente de saumure toxique qu’on rejette dans les océans. Actuellement, les usines de dessalement produisent 19 millions de mètres cubes de déchets chaque jour. On estime que leur production aura triplé d’ici à 2015, et les rejets de saumure et l’acidification des océans seront multipliés d’autant.
Et il ne s’agit là que des conséquences du dessalement, sans parler des processus naturels que la crise climatique a fait apparaître dans notre univers toujours plus aride. Avec le réchauffement de la planète, les océans absorbent en effet des quantités croissantes de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre. Ils se réchauffent et rejettent ces gaz dans l’atmosphère, créant une réaction en chaîne destructrice. A force de dessaler la moindre goutte d’eau accessible, nous pourrions bien, à terme, ne plus trouver que de l’acide à la place des océans. Comme le déclarait à Les Blumenthal l’océanographe Richard Feely, de la National Oceanic and Atmospheric Administration, à Seattle, tout converge vers des conséquences dramatiques. Certaines hypothèses annoncent même un bouleversement de l’ensemble de l’écosystème.
Le dessalement n’est absolument pas une solution raisonnable à la crise mondiale de l’eau, assène Maude Barlow. Ces usines sont des monstres polluants, extrêmement gourmands en énergie et produisant une saumure toxique qui tue la vie aquatique à des kilomètres à la ronde. Wenonah Hauter, de Food and Water Watch, ne dit pas autre chose : Loin de résoudre le problème de la pénurie d’eau, le dessalement est une technologie onéreuse qui risque d’avoir de nombreux effets secondaires. Nous serions mieux avisés de chercher à prévenir le mal en cessant de polluer, de détourner et de gaspiller l’eau. Espérons seulement que nous en prendrons conscience avant d’avoir entièrement changé les océans en acide.
Concernant l'acidification des océans, les conclusions de Pierre Kaldy dans Le Figaro vert (2) ne disent pas autre chose non plus: "Depuis deux siècles, les océans ont patiemment absorbé le tiers des émissions de gaz carbonique dues à l'homme, mais cette capacité semble avoir atteint ses limites."
Et voilà homo "economicus-technocratis" bien conscient du problème, qui veut sauver sa peau, mais qui est incapable de changer de mode de pensée. Incapable de changer de paradigme. Pas si simple pour un homme moulé à l'unique égo-économico-techno-science qui éduque à l'emploi d'œillères et à l'ignorance ou la destruction de tout ce qui pense ou agit différemment.
La déssalinisation comme la production d'agrocarburant sont typiques d'une pensée bloquée en mode "technocrate condescendant" qui fait, trop souvent, pire que bien. Voir à ce sujet Dogme économique & Condescendance technocratique ou Compenser nos émissions de CO2 en plantant des arbres.
La déssalinisation comme la production d'agrocarburants sont des technologies excessivement énergivores, excessivement polluantes, qui ne font qu'aggraver le cas planétaire qui devient de plus en plus critique, aussi bien au niveau social qu'écologique: voir La décroissance, l'argent et Moi.
Références
(1) Le dessalement n'est pas la solution miracle
(2) Les océans intoxiqués par le gaz carbonique (à lire)
(3) Les chercheurs s'inquiètent de l'acidification rapide des océans
(4) L'acidification des océans menace dangereusement les coraux
Pour suivre cette problématique d'acidification des océans de plus près, voici un blog qui y est entièrement consacré: http://oceanacidification.wordpress.com/