Issu du formidable document de Didier LACAPELLE (ECOTHEURGIE) : Manuel d’antiéconomie, p. 104. A lire absolument !
A la subvention au profit (article précédent) s’ajoute des phénomènes de redistribution des pauvres vers les riches. Sa justification théorique est l’ «effet de ruissellement». Selon ce principe, l’Etat doit favoriser les riches car ceux-ci, plus enclins à l’initiative économique, créent plus facilement de la richesse, et cette richesse ruisselle par leurs consommations en bas de l’échelle. Il y a plus d’inégalités mais les pauvres sont plus riches en termes absolus. Cette idée est fondée sur le principe erroné que l’initiative économique crée des revenus. De plus, l’effet de ruissellement n’a jamais été démontré et bute sur une réalité plus simple : quand on prend de l’argent aux pauvres, ils sont encore plus pauvres.
Les économistes nomment la redistribution des pauvres vers les riches : effet «Mathieu», et la voient un peu comme une curiosité. C’est en réalité une politique : l’Etat met en place de véritables mécanismes rentiers.
Le loyer est une rente «vraie» créée par la loi. Beaucoup de profits ressemblent aussi à des rentes, parce que le propriétaire de l’entreprise ne travaille pas lui-même, comme c’est le cas des actionnaires.
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On pourrait associer le mécanisme de privatisation au socialisme d’intérêt privé. Mais la privatisation ne vient pas simplement renforcer le profit, elle crée la possibilité du profit.
La privatisation est la condition initiale de l’émergence du capitalisme. On rappellera la phrase de Proudhon : « La propriété c’est le vol. » Elle correspond assez bien au mécanisme de privatisation d’un bien collectif. Ainsi on peut dater les débuts du système capitaliste anglais du moment de la privatisation des prés communaux, ayant entraîné la révolte des « enclosures ». Les paysans ont été chassés des prés communaux comme sont chassés aujourd’hui les paysans des Andes. Le même principe a oeuvré à la dépossession de leurs terres des indiens d’Amérique ou les palestiniens au début du 20ème siècle. La légitimation se fait par la création d’un « titre de propriété » au bénéfice du nouveau «propriétaire».
La privatisation de biens collectifs concerne également des entreprises, comme celles qu’ont acheté au rouble symbolique les oligarques russes sous Eltsine, s’octroyant au passage le monopole du gaz ou de l’exploitation de la forêt russe. De même, tout mécanisme de privatisation d’entreprise entraîne une création de profits soutirés par l’acheteur au contribuable. C’est assez flagrant avec les sociétés d’autoroute. Il s’agit typiquement d’une activité pour laquelle la concurrence n’existe pas ou peu – il n’y a jamais deux autoroutes concurrentes sur le même trajet, tout au plus des alternatives globalement non concurrentielles comme les petites routes ou le train – et dont le caractère de service empêche toute possibilité d’innovation. La privatisation d’une telle société n’a aucun intérêt pour le public. Il s’agit typiquement d’une redistribution inégalitaire.
Les entreprises capitalistes supportent des coûts que ne connaissent pas les entreprises publiques monopolistiques : dividendes à verser aux actionnaires, coûts liés à la concurrence, problèmes d’échelle. Elles arrivent parfois à compenser dans l'industrie par une meilleure utilisation du progrès technique, mais sont démunies dans les services, où les innovations sont rares.
Malgré cela les assurances sont toutes privées. De plus, certaines polices sont obligatoires, comme l’assurance habitation ou l’assurance automobile, assurant un marché aux assureurs. Les fonds de pension remplacent avantageusement l’assurance vie puisque désormais le bénéficiaire ne peut plus réclamer que les intérêts. Le capital ne lui appartient plus, mais est conservé par le fonds. De plus, le versement d’intérêts n’est pas garanti et est suspendu si le portefeuille concerné n’est pas bénéficiaire.
La gestion du régime général de sécurité sociale par certaines mutuelles leur octroie de la part de l’assurance maladie une remise de gestion par assuré très supérieure à leur coût réel. Le crédit d’impôt mutualiste pour que les revenus situés entre le plafond de la CMU complémentaire et ce plafond majoré entraîne une subvention des organismes d’assurance maladie aux assureurs complémentaires privés.
Les marchés publics organisent des avenants sans appels d’offre, évincent des PME sur des critères d’effectifs, financiers et d’expérience (selon les termes du code des marchés public en vigueur jusqu’à fin 2008) permettant à certaines entreprises de s’assurer des profits sans réelle mise en concurrence. Les concessions de service public organisent une forme de rente aux titulaires des marchés. Les secteurs de la formation ou du recrutement privé bénéficient de ponts d’or de la part de l’Etat pour simplement faire de la sous-traitance, plus chère, avec des résultats inférieurs. Mieux que les concessions, le régime des partenariats public-privé ne les limite pas dans le temps. Dans ce cadre, l’Etat remboursera les loyers, prendra en charge le risque commercial et d’exploitation, tandis que l’entreprise concernée empochera les profits. Les événements sportifs sont payés par la collectivité au profit des entreprises qui obtiennent les marchés. Les sommes sont d’ailleurs souvent dépensées sans que l’investissement soit pérenne.
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Le droit intellectuel organise également une forme de redistribution inégalitaire.
Le salarié n’est jamais payé de son travail au-delà du mois considéré. Dans le meilleur des cas, il bénéficie d’un intéressement au résultat sur un à trois ans. Les chanteurs sont encore rémunérés trente ans plus tard pour la chanson qu’ils ont écrite en deux heures. Parfois ce sont les maisons de disques qui ont les droits de chansons qu’elles n’ont pas écrites.
Les OGM permettent de rendre les plants stériles, ce qui assure de vendre des semences au producteur chaque année. On octroie des brevets sur des biens qu’on pouvait croire dans le domaine public. L’utilisation de plantes de la médecine traditionnelle est parfois interdite quand un laboratoire pharmaceutique a déposé un brevet sur le principe actif. * Les aides financières aux riches sont le pendant pour le particulier des subventions aux entreprises.
Des déductions d’impôts sont octroyées en plus des versements de la CAF aux familles qui embauchent des assistantes maternelles à domicile. Les gains réalisés à l’étranger, les successions sont défiscalisées dans beaucoup de pays. Les créances non recouvrables possédées par les particuliers font l’objet de déductions fiscales contre abandon de celles-ci. Ceci est une assurance gratuite fournie aux rentiers par l’Etat. Les dirigeants d’entreprise bénéficient de « parachutes dorés ». Les autres salariés peuvent être embauchés sous des statuts qui ne donnent pas droit à la moindre indemnité. Les écoles de « l’élite » sont financées par tous. Beaucoup de ceux qui ont un revenu ainsi subventionné trouvent par contre scandaleux que l’on continue de verser l’assurance chômage ou l’aide sociale.
L’Etat s’endette plutôt que de collecter l’impôt nécessaire ou de frapper la monnaie qui lui permettrait de réaliser les dépenses prévues. Les intérêts de la dette sont payés aux riches prêteurs, grâce à l’impôt de l’ensemble des français. Ce qu’on nomme profit ne résulte donc plus de la seule activité marchande, mais également des subventions et de la redistribution inégalitaire. Ce qu’on nomme encore capitalisme sert seulement à cristalliser un rapport hiérarchique en simulant un marché de biens.