Pourquoi parler de décroissance ? Quelle hérésie ! Tout va bien, non ? Le PIB du pays n’a jamais été aussi élevé, le chômage est à son plus bas niveau depuis des années, les compagnies font des profits record, la croissance économique promet d’apporter sécurité et bien être à la majorité. Sans croissance, impossible de maintenir longtemps notre niveau de vie. Une décroissance de quelques mois, et c’est la récession, quelle catastrophe ! Aux yeux des économistes, la décroissance soutenable mettrait en péril les assises de notre civilisation.
Par contre, de plus en plus de signaux nous indiquent que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Voici quelques faits en vrac brandis par les tenants de la décroissance soutenable : Le changement climatique : L’extinction massive des espèces : La destruction accélérée des écosystèmes : Les catastrophes humanitaires.
Mais les partisans de la croissance affirment sans sourciller que tous ces problèmes seront résolus par la technologie. En effet, comme l’a si bien dit George W. Bush en 2002 devant les responsables américains de la météorologie : « Parce qu’elle est la clef du progrès environnemental, parce qu’elle fournit les ressources permettant d’investir dans les technologies propres, la croissance est la solution, non le problème. ».
Ce qu’ils ne nous disent pas, par contre, c’est que tout progrès technique, toute amélioration de productivité, au lieu de diminuer la consommation de matières premières et d’énergie, conduirait au contraire à produire beaucoup plus, donc à consommer davantage. Ce phénomène se nomme l’effet rebond. Par exemple, on nous avait juré que l’informatique nous permettrait d’économiser le papier. Il s’est passé exactement le contraire, la consommation de papier a quadruplé depuis l’arrivée des ordinateurs. Idem pour l’automobile qui a fait des progrès considérables en termes de pollution mais qui se démocratise aussi de plus en plus. Idem pour les vols en avion "low cost".
Il n’est pas question ici de jeter la pierre à qui que ce soit, mais ce dont il faut bien se rendre compte c’est que notre mode de vie n’est pas généralisable. Au niveau équivalent carbone émis par exemple, nous émettons actuellement deux fois plus que ce que la Terre est en mesure de supporter. Cet excédent, soit nous le puisons sur les plus faibles soit sur les générations futures. Les plus faibles subissent et nos enfants subiront les conséquences de nos actes.(1)
Comme si ce n’était pas suffisant, un autre problème pointe le bout de son nez, ou plutôt de son « pic », qui nous obligera à passer d’un monde de croissance illimité à un de décroissance que nous espérons soutenable. Ce problème est l’épuisement des ressources pétrolières. http://www.oleocene.org/
Ceux qui croient toujours à la croissance nous assurent que les énergies alternatives vont pouvoir remplacer sans problème les hydrocarbures. Mais quand on regarde de plus près la réalité, on peut en douter.
Aujourd’hui, 80% de l’énergie consommée dans le monde est produite par les hydrocarbures. Par exemple, les Américains consomment près de 30 000 Terawattsheure (TW.h) en énergie chaque année. Pour produire seulement 5 400 TW.h d’ici 2030 en énergie éolienne, il faudrait que nos voisins du sud construisent un demi million d’éoliennes, soit 20 000 éoliennes chaque année à partir de maintenant, ce qui représente cinq fois la production mondiale actuelle. Pour l’instant, l’énergie éolienne ne représente que 1% de toute l’énergie générée par les Américains.
L’énergie solaire représente 0,001% de l’énergie produite dans le monde. Dans son ouvrage The end of oil, Paul Roberts écrit : « Si vous ajoutez toutes les cellules photovoltaïques solaires en activité à travers le monde vous obtenez une puissance de 2 000 Mégawatts rivalisant difficilement avec la production de deux centrales à charbon. […] Alimenter l’économie mondiale à l’énergie solaire exigerait de recouvrir de panneaux 220 000 kilomètres carrées. À l’heure actuelle, tous les panneaux solaires installés à travers le monde ne représentent qu’une superficie de 17 kilomètres carrés. ». On est loin du compte !
L’hydrogène n’est qu’un vecteur, pas une source d’énergie. Ses procédés de fabrication utilisent toujours plus d’énergie qu’il ne peut lui-même en fournir. À l’heure actuelle, l’hydrogène ne représente que 1% de l’énergie mondiale. Son utilisation à grande échelle pour le transport routier, en considérant sa production, son transport et son entreposage serait inefficace, polluante et dispendieuse. En effet, des recherches démontrent que même avec les meilleures technologies disponibles, l’efficacité globale de l’hydrogène serait équivalente à celles des machines à vapeur du siècle dernier. http://terresacree.org/hydrogene5.htm
Et le nucléaire ? Pour remplacer l’électricité produite par les centrales au pétrole et au gaz naturel, les Etats-Unis devront construire 50 nouvelles centrales nucléaires. Pour remplacer entièrement l’énergie utilisée en transport, il faudrait augmenter de 500% le nombre de centrales nucléaires, soit 515 centrales de plus aux Etats-Unis et 2 210 dans le monde. C’est sans compter les ressources limitées en uranium, les risques d’accidents et les déchets radioactifs. Il faut aussi savoir qu’une centrale nucléaire prend 10 ans à construire. http://www.sortirdunucleaire.org/
Face aux problèmes environnementaux et énergétiques, nous avons des choix difficiles à faire. Déjà, de nombreux philosophes, scientifiques et citoyens de tous horizons croient que la décroissance soutenable est le chemin que devrait prendre notre monde d’abondance. La simplicité volontaire est, à mon humble avis, un mode de vie concret permettant d’engager notre société vers la décroissance.
Ce que la décroissance propose ce n’est pas de faire la même chose en moins. La décroissance, c’est inventer le futur, avec les enseignements du passé et les techniques actuelles non corrompues par l’appât du gain. C’est donc inventer un mode de vie radicalement nouveau. C’est absolument unique dans l’histoire humaine, l’urgence environnementale va nous pousser au partage et au bon usage. Depuis plus d’un siècle, la gauche savait que la solidarité et le bon usage étaient essentiels mais elle pensait que la technique allait en venir à bout. (1)
Le culte de la croissance, même s’il était possible est en réalité absolument incompatible avec la part d’humain (humanité, sagesse) aujourd’hui plus ou moins enfouie en chacun de nous. Il nous faut réapprendre les limites. Sans limites c’est chaque fois les générations futures ou les plus faibles qui en pâtissent. Chaque fois que l’on s’en prend au plus faible ou la part faible d’entre nous (plus le droit d’être malade, de vieillir), c’est l’humanité toute entière qui passe à la trappe. L’homme n’est grand que dans le respect de ses faiblesses. (1)
Par Dominique D’Anjou dans le bulletin Automne 2007 sur la simplicité volontaire et la décroissance
Références
(1) Ajouté au texte original, Extrait du l’entretien de Paul Aries à l’occasion de la sortie du journal le Sarkophage http://www.oulala.net/Portail/article.php3 ?id_article=3045
* Bernard, Michel et al. Objectif décroissance. Montréal, Éditions Écosociété, 2003, 262 p.
* Brodhag, Christian et al. Dictionnaire du développement durable. Saint-Denis-la-Plaine, Association Française de Normalisation (AFNOR), 2004, 283 p.
* Georgescu-Roegen, Nicholas. La décroissance Entropie – Écologie – Économie. Paris : Éditions Sang de la terre, 1995, 254 p.
* Heinberg, Richard. The Party’s Over. Oil, War, and the Fate of Industrial Societies. Gabriola Island, BC, Canada. New Society Publishers, 2003, 275 p.
* Heinberg, Richard, Powerdown - Options and Actions for a Post-Carbon World. Gabriola Island, BC, Canada. New Society Publishers, 2004, 275 p.
Laurent, Éric. La face cachée du pétrole. Paris, éditions Plon, 2006, 412 p.
* Le Devoir. Le réchauffement de l’Arctique est inévitable. Montréal, édition du mercredi 15 février 2006.
* Roberts, Paul. The end of oil. Boston, Houghton Mifflin, 2004, 389 p.
Voir en ligne : Décroissance