Quelques extraits de « Los Amigos de Ludd », Bulletin d’information décembre 2001
L’industrie ne naît d’aucune nécessité ébauchée par la société - et la machine ne contribue donc pas à sa libération -, ni n’est jamais née à cette fin. L’âge moderne n’a pas connu, ne serait-ce que partiellement, la construction de machineries ou dispositifs techniques qui auraient eu comme finalité l’émancipation d’une société. Toutes les machines et les instruments forgés à l’âge moderne ont été pensés au sein du processus de nécessités industrielles de la production du capital, et la loi de leur perfectionnement obéit à des raisons semblables ; les techniques antérieures ont été ou bien détruites ou bien intégrées sous une forme méconnaissable aux nouveaux processus de production. C’est seulement en prétendant ignorer le caractère biaisé des fins qu’il sert, de même que le gigantesque réseau de besoins fictifs qu’il a engendré afin de justifier l’exigence de si hauts rendements, que l’on peut croire que le système de production industriel a épargné des efforts pénibles aux êtres humains.
Si la domination de la technologie est si ancrée, c’est avant tout parce qu’elle a envahi depuis longtemps toutes les sphères de notre vie matérielle qui était autrefois certes très limitée, et frôlait même des conditions misérables, mais pouvait s’enorgueillir d’être le propre maître d’une production autosuffisante, complémentée souvent par des échanges divers sous la forme du troc, qui satisfaisait les nécessités basiques. Au lieu que l’implantation de la technologie dans nos vies, sous la forme de biens de consommation, n’a fait que nous assujettir à de pseudo-nécessités, marchandises sans nom, produites par d’autres, qu’on ne peut acquérir qu’à la condition de produire pour un autre, dans un processus de production dont nous ne maîtrisons ni la continuité ni le contenu, et dont l’espace vital nous semble toujours plus ennuyeux, dégradant, en échange d’un salaire permettant justement d’atteindre la nouvelle misère ainsi fabriquée. En même temps, les pseudo-nécessités du monde moderne apparaissent comme incontournables - et, en quelque sorte, elles le sont. En effet, ce n’est pas seulement culturellement qu’elles ont été rendues nécessaires, mais aussi structurellement, c’est-à-dire, elles modèlent, de façon totalitaire, l’espace et le temps de nos vies, en ayant préalablement pris soin de détruire ou gommer toute alternative possible. Elles sont donc en nous comme un poids mort, une force d’attraction, une inertie. C’est bel et bien la vie matérielle en son entier qui a été transformée.
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D’ailleurs, il est manifeste que les hommes modernes si appareillés, ont perdu toute maîtrise d’un savoir-faire particulier, et se trouvent la plupart du temps désemparés devant un problème technique à résoudre, et presque orphelins devant une machine en panne.
Si le processus d’industrialisation a impliqué une première rupture avec les limites imposées par la nature à la domination humaine et à sa capacité d’extension, au moins savions-nous que ces limites existaient et qu’il nous était possible de détecter clairement les effets et les conséquences nocives d’un tel processus, dès lors qu’ils saturaient les seuils de résistance de l’environnement et provoquaient des désordres identifiables. Mais l’avancée de l’industrialisation implique maintenant l’artificialisation totale de l’environnement sur lequel elle a l’intention de marcher sans rencontrer d’obstacles. C’est le cas évident du développement scientifique et industriel des biotechnologies (comme ce le fut du nucléaire). Sur ce point, l’artificialisation se base sur deux facteurs. En premier lieu, celui de l’amélioration des espèces qui réellement ne cherche à modifier la base génétique des espèces[1] que pour les adapter à un environnement que l’industrialisation et le marché ont ravagé (pollution des éléments naturels, surproduction, dégradation de la diversité, changement climatique, destruction des pratiques agricoles intégrées, déstructuration des économies locales, etc.). En second lieu, grâce à cette artificialisation se présentant comme une amélioration et un perfectionnement des espèces, le nouveau monde industriel tente d’aménager un terrain d’expérimentation et d’exploitation où les effets nocifs ne pourront plus être identifiés, puisque, une fois rompues les limites de l’environnement naturel, il ne restera pas un seul point de référence à partir duquel pourrait être établi un équilibre entre les nécessités humaines et les nécessités d’un écosystème déterminé, et qu’au contraire ce seront les formes naturelles qui ne répondront pas aux critères de perfectionnement et d’exploitation qui seront alors suspectées d’être la cause de graves déséquilibres. L’inversion de la relation de l’être humain avec son milieu naturel aura alors atteint - a atteint - un degré de domination absolue.
Peut-on imaginer un tel renversement ? Le retour de manivelle de l’Amarante pour Monsanto plaide pour un non. Mais il n’empêche qu’homo sapiens croit dur comme fer en sa science. Un vent d’écologie capitaliste s’est levé ! Un vent aussi puissant que trompeur, s’insinuant dans tous les interstices des « possibles ».
Extrait p8 du bulletin n°2 sortir de l’économie
L’écologie des alternatifs est finalement l’avant-garde de l’écologie machinique de demain qui taxe, qui réglemente, qui sur-organise, qui fait décroître, partout la lutte contre les nuisances écologiques passent par leur mise en valeur, et comme toujours, «l’extension accélérée du marché oblige à y inclure, donc à tarifer ce qui lui échappe encore. Car dans la mesure où certains biens essentiels dont nul ne se préoccupe restent gratuits, ils sont exploités sans mesure. Pas besoin de se gêner puisqu’ils ne coûtent rien. C’est ainsi que la clarté des rivières, le silence des villes, l’azur de la Méditerranée, menacés de disparition, manqueront un beau jour à l’industrie elle-même. Il devient donc urgent d’en faire le décompte et d’en fixer la valeur, et la seule qui soit reconnue de tous [par nos écologistes machiniques comme alternatifs] est celle qui s’exprime en francs. Il va falloir déterminer les coûts, les indemnités à payer aux particuliers, à l’Etat et aux industriels eux-mêmes. C’est d’autant plus urgent que ce qui était donné par la nature doit être désormais fabriqué à grands frais. Demain les produits les plus chers seront l’air, l’eau, la mer ou les plages épurées, recomposées à force de raffinements scientifiques et chimiques. La fabrication des éléments ou paysages qu’on avait autrefois pour rien sera sans doute l’industrie la plus puissante, donc celle qui procure les plus gros profits. [B. Charbonneau, Il court, il court le fric…, Opales, 1996. p100-101]
Note:
[1] C'est le cas de la sélection génétique de blés court suite au problème de renversement des blés suralimentés en azote. Ce déséquilibre en azote entraine une pousse trop rapide de la plante sans renforcement de ses tissus de soutient par du carbone, de la lignine. Aujourd’hui, sans azote, les blés modernes végètent. Exemple par excellence de fuite en avant par lequel on corrige un effet néfaste (fumure azotée trop importante) par un autre (introduction du gène du nanisme dans le blé). Conférence de Guy Kastler, septembre 2008, "Semences de l'apocalypse ou semences paysannes" (A lire!)
Source :
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Le « principe d’équivalence universel » ou « la domination du travail mort »