Nous sommes trop nombreux. Il n’y aura jamais assez de nourriture pour tout le monde. Ne faut-il pas combattre de toutes ses forces de telles assertions ? Trop rapides, trop simplistes, elles ne sont pas sans rappeler le Malthusianisme ou, à l’extrême, alimentent certaines théories élitistes, racistes, voire xénophobes. Prompt à porter un regard réprobateur envers les plus démunis qui continuent à faire des enfants à tour de bras nous n’évaluons même pas l’impact de nos enfants occidentaux sur le monde. L’empreinte écologique d’un enfant occidental correspond à 30 enfants du tiers-monde ! De 0 à 2 ans un enfant occidental consomme et pollue plus qu’un Mauritanien ou un Bengali sur toute une vie.
Que les choses soient claires : notre planète est parfaitement capable de nourrir les 9 milliards d’individus prévus pour 2050. Elle pourrait même en nourrir deux fois plus, si et seulement si nous passions à une agriculture sans intrants pétrochimiques (engrais, pesticides, fongicides), sans mécanisation intensive, sans OGM et sans objectifs mégalo-financiers. Si, avec la débâcle du système financier et de l’industrie automobile, fleuron du capitalisme, nos grand chefs d’Etats commencent à venter les mérites du local, il en va évidement de même pour l’alimentation ! Rien de tel qu’une voiture pour nous faire prendre conscience qu’il faut revenir au local ! Relocaliser, c’est moins de transports, moins de pollution, moins d’emballages, plus d’emplois, plus d’autonomie, plus de responsabilisation, etc.
Une agriculture locale, paysanne et bio est en mesure de nourrir 9 milliards d’humains. Cette phrase est la conclusion d’un rapport de la FAO publié à la suite d’une réunion du 3 au 5 mai 2007 à Rome. Ont participé à cette réunion, quelque 350 « experts » issus de plus de 80 pays, dont des représentants de 66 États Membres de la FAO, de trois institutions des Nations Unies, de cinq institutions intergouvernementales, de 15 organisations internationales non gouvernementales, de 30 organisations nationales non gouvernementales, de 24 instituts de recherche, de 31 universités, de huit entreprises privées et de neuf groupements d’agriculteurs (Cfr. point 2, ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/meeting/012/J9918F.pdf).
Au point 8, ce rapport précise en outre que « dans les pays en développement, l’intensification durable de la production agricole par le biais de pratiques biologiques permettrait d’accroître la production de 56%. ». Enfin, le point 24 ajoute que « les systèmes de production biologique ont permis de réduire le recours aux intrants dérivés de combustibles fossiles de 10 à 70 % en Europe et de 29 à 37% aux États-Unis, sauf dans le cas de certaines cultures comme la pomme de terre. Ils contribuent également à atténuer les effets du changement climatique. »
Au cas où ce rapport de la FAO ne suffisait pas, il existe aussi l’étude de Pretty et al. datant de 2006 dont le rapport FAO devait probablement s’inspirer en partie. Pour 286 projets en agriculture biologique analysés dans 57 pays, l’étude fait mention de rendements aussi bons, si pas meilleurs dans certains cas, que l’agriculture industrielle.
Coincé dans le mode production-consommation on se surprend à vouloir réguler les naissances et/ou à produire plus. L’homme moderne linéaire ne comprend plus la qualité, il n’est capable de raisonner qu’en termes de quantité. Trop de monde, pas assez de nourriture donc réduisons les naissances et produisons plus. Plutôt que de revoir ses modes de production et son impact écologique et social sur la planète, l’homme moderne préfère faire la morale au Sud et continuer à l’inonder de son immonde nourriture qui se décline bien plus en prix/quantité qu’en goût/qualité (Cfr. Normalisation d’une nourriture carencée). Le Nord préfère sa formule des avantages comparatifs pour continuer de produire en masse à un endroit afin de revendre avec spéculation à un autre. Peu importe que cela se fasse au détriment de la planète et de l’autonomie des peuples. Ce qui compte, c’est dame économie.
Olivier de Shutter, successeur à Jean-Ziegler comme rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, affirme en effet que : « la politique de prix des denrées, et le circuit de distribution de celles-ci est au cœur du problème. Les variations brutales et vertigineuses des cours des céréales ou du riz, par exemple, n’ont souvent rien à voir avec l’état des récoltes. Il peut arriver que les étalages des supermarchés soient remplis, alors que (dans le même pays) des émeutes de la faim ont lieu dans les rues. Un seul importateur de riz peut, s’il est en situation de quasi-monopole, faire flamber les cours et transformer du tout au tout, en quelques jours seulement, la situation dans les marchés locaux. Dans un marché agricole mondialisé, le rôle des opérateurs économiques est vital. La chaîne de distribution des produits alimentaires importe au moins autant que le volume de production. Croire qu’il suffit de produire plus pour nourrir la planète est un non-sens. C’est la question de l’accès aux denrées alimentaires qui est essentielle. Un milliard de personnes dans le monde ont faim parce qu’elles sont trop pauvres, pas parce qu’on ne produit pas de quoi les nourrir en quantité suffisante Et cette situation ne disparaît pas lorsque survient une baisse des cours. Nous faisons face à des déséquilibres structurels. Donc explosifs. »[1]
Malgré cela, on commence à lire (même dans Nouvelles Clés ou dans Imagine, magazines « alter ») l’idée de projets de fermes verticales, des buildings futuristes alliant technologie, architecture et agriculture, comme le projet Dragonfly à Manhattan imaginé par l’architecte Belge Vincent Callebaut ou encore les «vertical farms» de Dickson Despommier. Des cultures hors sol avec des ordinateurs qui gèrent en permanence le taux d’humidité, de CO2, de température, de nutriments, etc. Si l’argument de pénurie alimentaire au sein des grandes villes n’est certainement pas dénué de sens encore faut-il se poser la question du sens, de la réalisation et de la nécessité de tels projets ? Ne s'agit-il pas d'une résurgence supplémentaire de mégalomanie, de fuite en avant?
Ne vaudrait-il pas mieux mettre en œuvre une politique de valorisation et de relocalisation du monde rural ? La tragédie actuelle se trouve dans la migration effrénée vers les villes. Migration incitée par de gros capitaux prêts à tout pour exploiter économiquement les terres ainsi libérées. Il en résulte une fuite des paysans, une fuite des savoir-faire et avec eux, l’épuisement et la mort des sols.
« Pour nourrir les humains, inutile de conquérir le ciel, il faut revenir à la terre ! » [Philippe Desbrosse].
Promouvoir l’exode urbain plutôt que rural en valorisant les campagnes, le vivre mieux, plus proche et plus local n’est pas irréalisable ou utopique. Comme le précise encore bien ce fameux rapport de la FAO : « la sécurité alimentaire est bien plus une question politique, qu’une question agricole ». Il ne s’agit pas de produire plus de manière décentralisée avec des techniques de pointes, il s’agit de produire mieux, localement, avec des techniques de base, innovantes et peu énergivores ! « Pourquoi ne pas passer des contrat d’exploitation avec les paysans qui resteraient ainsi propriétaires de leurs terres ? » propose Olivier de Schutter. En Egypte, en Tanzanie, en Chine, au Japon ou à Cuba, la réforme agraire a impliqué l’expropriation des grands propriétaires terriens absentéistes pour libérer la Terre à ceux qui la respectent : les petits paysans, les anciens métayers. Ce genre de réforme agraire impliquait aussi la création d’association paysannes autonomes reconnaissant la possession de parcelles de terre individuelles (ou plutôt familiales) et organisant la mise en commun de certaines terres expropriées, destinées à être travaillées en commun pour financer des équipements collectifs tels que des dispensaires et des écoles.
Il ne s’agit pas ici de Communisme au sens classique puisqu’il n’y a pas collectivisation forcée des moyens de production. Il y a accord tacite des parties prenantes, c’est-à-dire des parties qui travaillent et non celles qui ont des capitaux (Capitalisme) ou qui dirigent (Communisme). Comme dit Patrick Viveret, toute forme de captation est nuisible, que ce soit pour le pouvoir, l’argent ou même le sens (extrémismes religieux). D’ailleurs ce type de réforme agraire eut bel et bien lieu en Ethiopie en 1974. Tout fonctionnait à merveille jusqu’à l’intervention des Soviétiques. « Ils s’empressèrent de chasser les présidents des associations paysannes démocratiquement élus et imposèrent leur propre système. On voit donc bien que l’impérialisme n’était pas l’apanage exclusif des pays capitalistes. L’URSS en Afrique eut une politique antidémocratique et quasi-coloniale. Ensuite, on remarque que la modernité soviétique n’était pas moins ethnocentrique que l’occidentale. L’expert rouge n’était pas plus disposé à reconnaître les cultures locales que l’expert de la Banque mondiale. » [2]
Pour terminer, que ce soit pour la lutte contre le réchauffement climatique, la pollution, la dégradation des sols et de l’eau, la perte nutritive des aliments (Cfr. Normalisation d’une nourriture carencée), le chômage, l’engorgement des villes, la destruction des tissus sociaux, la dépendance, l’a-culturation... la promotion d’une agriculture biologique paysanne proche de l’homme et de la Terre constitue sans conteste un élément de réponse matériel (donc compréhensible à notre société) aux problèmes que nous vivons. Mais comme le conclu si bien le rapport de la FAO, la question alimentaire est avant tout une question de volonté politique. C'est aussi une question de volonté personnelle. Nous ne sommes pas trop nombreux. Nous devons apprendre à vivre plus simplement pour que d'autres puissent simplement vivre (Gandhi).
Note :
[1] Courrier International N°976, du 16 au 22 juillet 2009, p.45
[2] DES RACINES POUR L’AVENIR, Cultures et spiritualités dans un monde en feu, p. 205, Thierry VERHELST, L’Harmattan.
Pour aller plus loin
* L'Agriculture naturelle de Masanobu Fukuoka
* www.lesjardinsdebrf.com
* www.permaculture.be
* www.natpro.be
* www.eco-bio.info
Et enfin, www.terre-humanisme.org de Pierre RABHI dont sont issues les fiches pédagogiques qui suivent. Très utiles pour commencer!
FICHE n° 1 : LE SOL fiche_péda_Le_Sol.pdf
FICHE N° 2 : LA PLANTE Fiche_péda_La_plante.pdf
FICHE N° 3 : LA FERTILISATION DU SOL Fiche_péda_Fertilisation.pdf
FICHE N°4: AUTRES FERTILISANTS Fiche_péda_fertilisants.pdf
FICHE N°5: LES ASSOCIATIONS DE CULTURE Fiche pédagogique N°5
FICHE N°6: LES ROTATIONS : Fiche péda N°6
FICHE N°7: ECOSYSTEME DU JARDIN : Fiche pédagogique N°7
FICHE N°8 : LA BIODIVERSITE CULTIVEE : Fiche péda N°8
FICHE N°9: LA PRODUCTION DE SEMENCES : Fiche péda N°9
FICHE N°10 : LE GREFFAGE ET LA TAILLE : Fiche péda N°10
FICHE N°11 : LE BOUTURAGE : Fiche pédagogique 11 le bouturage
FICHE N°12 : L'APICULTURE : Fiche péda N°12
FICHE N°13 : REPERES POUR UN POTAGER AGROECOLOGIQUE : Fiche péda N°13
FICHE N°14 : L'EAU AU JARDIN : Fiche péda N°14
FICHE N°15 : SOINS PHYTOSANITAIRES: Fiche péda N°15
FICHE N°16 : SOINS D'HIVER AU JARDIN : Journal 64 Fiche pédagogique N°16
FICHE N°17 : UNE METHODE DE COMPOST MENAGER : Fiche péda 17
FICHE N°18 : LA PHYO-EPURATION : Fiche pédagogique 18
FICHE N°19 : LES TOILETTES SECHES A T&H : Fiche péda 19
Et pour toute personne qui souhaite vraiment approfondir, il y a :
Claude BOURGUIGNON : Le sol, La Terre et les champs
Dominique SOLTNER : Tome 1, 2 & 3 : le sol, le climat, la plante