Notre objectif doit être de stopper la moyenne globale de température d’une augmentation de plus de 2 degrés par rapport au niveau préindustriel, ou encore 1,4 degrés par rapport au niveau actuel.
Pourquoi 2 degrés ? Parce que c’est le seuil critique communément admis par les scientifiques climatiques[1] . Notons cependant que même avec un accroissement de température de 1 degré, c’est déjà suffisant pour observer la disparition d'une bonne partie de la barrière de corail, la décalcification des coquilles de certains mollusques dans les océans, un rétrécissement significatif des glaciers, une diminution du rendement des cultures, un accroissement des sécheresses, précipitations et tempêtes dans des régions à climat extrême, une influence sur la pollinisation et la reproduction des espèces (terrestres ET aquatiques), une recrudescence des maladies endémiques, etc. Mais c'est aux alentours de 2 degrés, à cause de "phénomènes de rétroaction positive[2] ", que les effets du changement climatique auront un impact sans précédent pour la majeure partie de la vie sur terre (à moins de remonter à l'ère des dinosaures).
Des chercheurs de l’Institut de Potsdam sur l’Impact Climatique[3] ainsi que bien d'autres sources [4] ont estimé que pour garder les températures globales en dessous de 2 degrés il faut garder la concentration de gaz à effets de serre (GES) [5] en dessous de 440ppm (parties par million [6] ), soit 0,044%. Alors que la concentration actuelle en dioxyde de carbone (CO2) est de 380ppm, elle monte à 440 ppm à l’ajout des autres GES. Nous aurions donc déjà atteint le seuil limite ? Pourquoi n’observons nous donc pas encore une telle hausse de température ? Parce que le maximum des températures n'est atteint que bien après que le maximum de concentration en gaz le soit [7] . De plus, le temps de rémanence du CO2 dans l’atmosphère est approximativement de 200 ans.
Le dernier rapport du groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC [8] ) parle d'une fourchette d'augmentation de 2 à 4,5 degrés pour une concentration de 550ppm, soit 0,055% de CO2 dans l'atmosphère.
0,055% c'est bien peu et ça ne dit pas grand-chose. Alors pour fixer les idées, retenez bien 2 chiffres: 8 et 2 tonnes. Pour le premier, c'est la quantité moyenne de CO2 émise par habitant par an en Europe [9] . Pour le second, c'est actuellement le niveau maximal d'émission par habitant par an que la terre peut supporter pour stabiliser l'effet de serre [10]. Il nous faudrait donc réduire nos émissions par 4, soit de 75% au minimum. Au minimum car c'est sans tenir compte de l'accroissement de la population (8 milliards en 2020), l'occidentalisation des pays émergeants et de la baisse d'absorption de carbone par les océans (absorption moindre à température élevée) et les forêts (perte quantitative ET qualitative) [11]
Par contraste, les pays signataires du protocole de Kyoto se sont engagés à réduire leurs émissions de 5,2 % pour 2012. L'Union européenne s'est engagée, quant à elle, a réduire ses émissions de 8% d'ici 2012 et de 20% d'ici 2020. La Grande-Bretagne s’est engagée à réduire ses émissions de 60% pour 2050. C’est l’objectif le plus audacieux actuellement.
Il faut cependant savoir que ces objectifs ne tiennent pas compte des émissions de GES du trafic aérien ou maritime. Une des raisons invoquées réside dans la difficulté d'allocation de ces émissions. La véritable raison réside plus dans le caractère aigrefin de ces secteurs, il est vrai à caractère international mais qui ont toujours su se jouer des directives et législations nationales ou régionales. Pourtant, à trop ignorer le secteur, nous pourrions le voir grandir et grossir jusqu'à phagocyter tous les autres en terme de quota d'émission de GES (croissance de 90% dans 20 ans [12] et contribution à 67% des GES en 2030[13]). On peut alors se demander si se déplacer a plus d’importance que se chauffer, s’éclairer ou s’abriter ?[14]. Il en va de même pour les biocarburants qui prennent de plus en plus d'ampleur au détriment des cultures vivrières, de la biodiversité, des populations locales et de forêts séculaires. Ici encore, se déplacer aurait plus d'importance que se nourrir?[15] Tout cela pour une mobilité toute relative quand on connaît les problèmes associés au trafic aérien ou routier : embouteillages, nuisances sonores, tourisme de masse, expropriations, pollutions, etc.
Pour en revenir aux émissions de CO2, voici, à titre de comparaison, un tableau des émissions par habitant et par an pour l’année 2004 pour 5 pays (source : Energy Information Administration9 )
Pays | Emission de CO2 en tonnes par personne et par an |
Luxembourg | 26,62 |
Etats-Unis | 20,18 |
Angleterre | 9,62 |
Bengladesh | 0,27 |
Ethiopie | 0,06 |
Si on admet qu'il y a un lien entre l'émission anthropique de GES et le réchauffement climatique (le doute devient indécent[16]) et si on raisonne de manière équitable, les désagréments associés à ces effets devraient être 444 fois plus important pour un Luxembourgeois que pour un Ethiopien. Evidement, il n’en est rien et c’est une des deux raisons de notre apathie à traiter le problème. La seconde est bien sûr la puissance des grands lobbies économiques.
Bon nombre de pays du tiers monde souffrent déjà cruellement du changement climatique. En 1998, 65% du Bengladesh s’est retrouvé temporairement sous eau avec une agriculture et une infrastructure ruinée [17] . En 2004, la moitié de Bhola, la plus grande île du pays, occupée par 1,6 millions d’habitant, a été inondée. Lors de l’été 2006, des bras de l’Amazone, un des plus grands fleuves du monde, dans une des zones les plus humides de la planète, étaient à sec[18]. En 2005, 2006, toute la corne de l'Afrique est affectée par de sérieuses sécheresses [19] . Fin 2006, des inondations sans précédent y font ravage[20] . Depuis 2006, un déficit hydrologique important touche l'ensemble des barrages du bassin de la Volta en Afrique de l'ouest. Début 2007, de terribles inondations en Indonésie ont des conséquences désastreuses[21] . Peut-être est-ce un concours de circonstance mais cela fait tout de même beaucoup en peu de temps sur toute la planète.
Les pays du nord, en général plus riches, sont doublement avantagés. D'une part, ils sont un peu moins touchés par les manifestations météorologiques extrêmes grâce à leur situation en région tempérée. D'autre part, ils ont les moyens techniques et financiers pour aider leurs citoyens en cas d'inondation, tornades ou canicules. Dans un premier temps en tout cas, les nantis de cette planète pourront, une fois encore, tirer leur épingle du jeu.
Une solution ? Comme Nicolas Hulot avec le pacte écologique, George Monbiot en propose une à son gouvernement: http://www.monbiot.com/archives/2006/10/31/heres-the-plan/.
Elle vous apparaitra comme utopique ou irréaliste. Mais le texte cite aussi l’exemple des préparatifs des Etats-Unis pour la seconde guerre mondiale : les fabricants de voiture ont produit des avions et des missiles en 1 an et des véhicules amphibies en 90 jours. C’était il y a 65 ans. Preuve que si nous voulons, nous pouvons.
Croire que les progrès technologiques vont nous sortir de l’impasse est une erreur colossale. C’est en effet non seulement nier la finitude des matières premières de notre planète mais aussi nier le comportement humain qui consiste à en vouloir toujours plus à moindre frais (postulat de Khazzoom-Brokes au niveau macroéconomique[22] ou effet rebond au niveau microéconomique [23] ). Entre 1980 et 2002, la consommation d'énergie des 30 pays les plus riches à augmenté de 23%[24] . Les progrès technologiques du secteur automobile en sont un très bon exemple.
Croire enfin que nos gouvernements et le politique pourront y changer quelque chose est effectivement une issue dans la mesure où il y a une réelle volonté de changement individuelle et collective. Cette volonté de changement ne s’exprimera pleinement que si nous sommes correctement informés, éduqués et animés d’un idéal humaniste. L’idée proposée par Mauro Benaïti [25] est de remplacer la croissance matérielle par une croissance relationnelle, sociale et spirituelle. "Moins de biens, plus de liens" est également le crédo de Serge Latouche exposé dans son dernier livre[26] . Que cherchons-nous en effet à travers nos achats et divertissements si ce n’est de la reconnaissance et un échappatoire à notre monde de moins en moins humain ? Pourquoi ne pas le rendre plus convivial en mettant un peu plus l’accent sur les contacts, les relations, le dialogue, le respect et l’amour ? Il nous faut inverser la tendance pour cultiver le bien-être et non le bien-avoir[27] .
[1] http://www.defra.gov.uk/environment/climatechange/internat/pdf/avoid-dangercc.pdf
http://www.wbgu.de/wbgu_sn2003_engl.pdf
[2] Rétroaction positive ou phénomène d’emballement (science & vie, février 2006)
1) Les glaciers
La fonte des glaces entraîne la disparition de la meilleure surface réfléchissante (glace) par la pire (eau).
2) Le permafrost
Sol gelé en permanence. Sa fonte libère du CO2 en raison de la reprise de l’activité biologique. Or, il pourrait perdre 15 à 30% de sa surface d’ici à 2050.
3) Les tourbières
Sols spongieux gorgés de matières organiques. Lorsqu’ils s’assèchent, la matière organique qui était protégée par l’eau est exposée à l’air, et devient la proie des bactéries qui la dégradent en émettant beaucoup de dioxyde de carbone.
4) Les clathrates
Cristaux instables du fond des mers. Ils risquent, sous l’effet du réchauffement de se désagréger et de libérer de grandes quantités de méthane, un puissant gaz à effet de serre.
5) Les océans
Un quart de nos émission de CO2 se dissout dans l’océan. En se réchauffant, l’eau perd en partie sa capacité à dissoudre le CO2, qui reste alors dans l’atmosphère.
6) La végétation
Aujourd’hui, la végétation est aussi un grand capteur de CO2 mais demain, chaleur, sécheresse et déforestation pourraient inverser la tendance.
[3] Bill Hare and Malte Meinshausen, How Much Warming Are We Committed To and HOW Much Can Be Avoided?, PIK report 93, Potsdam Institute for Climate Impact Research, Potsdam, 2004, figure 7, page 24: http://www.pik-potsdam.de/research/publications/pikreports/.files/pr93.pdf/view?searchterm=pr93
[4] http://www.google.be/search?hl=fr&q=%22ppm%22+%22critical+threshold%22+%22climate%22&btnG=Rechercher&meta=
[5] GES: Gaz à effet de serre: http://www.manicore.com/documentation/serre/gaz.html
[6] Ppm: Parties par millions: http://fr.wikipedia.org/wiki/PPM
[7] http://www.manicore.com/documentation/serre/augmentation.html
[8] GIEC: groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat:
http://www.manicore.com/documentation/serre/GIEC.html
[9] Energy Information Administration, International Energy Annual 2003, 2005, Table H.1cco2 (World Per Capita Carbon Dioxide Emissions from the Consumption and Flaring of Fosil Fuels, 1980-2003): http://www.eia.doe.gov/pub/international/iealf/tableh1cco2.xls
[10] 3 à 4 milliards de tonnes = capacité actuelle d'absorption de carbone de la planète sur un an (science & vie, février 2006). En moyenne, c'est donc 3,5 milliards à diviser par la population mondiale qui se chiffre actuellement à 6,5 milliards d'habitants. Cela nous donnes un résulta de 0,54 tonne de carbone par habitant par an. En appliquant à ce chiffre le coefficient de conversion carbone vers CO2 (=3,6667 ou 44/12) on obtient 1,98 tonne de CO2 par habitant par an.
[11] http://www.manicore.com/documentation/serre/puits.html
[12] Selon un scenario "Business As Usual". Eurocontrol Long term forecast of flights (2004-2025)
[13] Tyndall (2006) Growth scenarions for EU & UK aviation : contradictions with climate policy, Tyndall Centre for Climate Change Research, 66p.
[14] http://www.monbiot.com/archives/2006/12/19/preparing-for-take-off/
[15] http://www.monbiot.com/archives/2004/11/23/feeding-cars-not-people/
http://www.monbiot.com/archives/2005/12/06/worse-than-fossil-fuel/
[16] http://www.manicore.com/documentation/serre/anthropique.html
http://www.manicore.com/documentation/serre/seule_action.html
http://www.manicore.com/documentation/serre/commence.html
[17] http://www.monde-diplomatique.fr/1998/12/SAUSSIER/11401
[18] http://www.amisdelaterre.org/spip.php?article3062
[19] http://www.unicef.org/french/media/media_30941.html
[20] http://www.infosdelaplanete.org/article.php?ID=1380
[21] http://www.lemonde.fr/web/portfolio/0,12-0@2-3216,31-727013@51-722970,0.html
[22] Saunders,H.D., 1992, "The Khazzoom-Brookes postulate and neoclassical growth.", The Energy Journal, Vol.13, No.4, pp.131-148 (cité dans George Monbiot, Heat - How to stop the planet burning, pp.61, London, Penguin Books, 2006)
[23] L’effet rebond : à chaque fois qu’on a réussi à économiser telle ou telle matière première pour produire un bien ou un service, l’effet de ce gain d’éco-efficience (capacité à augmenter la production de biens tout en diminuant la consommation de matières premières et d’énergie) a été plus que compensé par un accroissement encore plus important des quantités produites. http://decroissance.free.fr/Schneider_l_Ecologiste.pdf
[24] Roger Levett, "Quality of LifeEco-Efficiency", Energy and Environment, Vol.15 (2004), pp.1015-26.
[25] Mauro Benaïti, professeur d'économie à l'université de Bologne: http://www.sosplanete.net/roegen1.htm
[26] Serge Latouche, "Survivre au développement", Paris, Mille et une nuits, 2004
[27] Marie Martin-Pécheux: http://www.citerre.org/