
Par Francois Gemenne (Professeur géopolitique de l'environnement, Sciences Po, Université libre de Bruxelles)
On entend beaucoup dire, dans certains milieux, que la crise actuelle serait "bonne pour le climat et l'environnement", ou qu'il faudrait "appliquer contre le changement climatique les mêmes mesures que contre le coronavirus". Non seulement c'est absolument insensible pour la situation très compliquée que vivent beaucoup de familles en ce moment, sans compter les personnels qui sont en première ligne, mais c'est aussi complètement faux et idiot. Je pense au contraire qu'à long-terme, cette crise sera une catastrophe pour le climat.
Bien sûr il y a des effets de court-terme sur l'environnement : baisse substantielle de la pollution atmosphérique, chute des émissions de gaz à effet de serre, etc. Mais sur le long-terme, ces effets temporaires seront sans doute insignifiants, et voici pourquoi :
1. Les émissions ont toujours tendance à rebondir, après une crise. On le voit déjà en Chine, on l'a vu après la crise de 2008-2009. Le climat a besoin d'une baisse soutenue et régulière des émissions de gaz à effet de serre, pas d'une année 'blanche'.
2. Des gouvernements annoncent déjà des plans de relance de leur industrie fossile. Le Canada annonce un plan massif de soutien aux secteurs pétrolier et gazier. Idem pour le secteur aérien, ou même les bateaux de croisières. Alors que le prix du baril de pétrole est au plus bas et que le plan de relance pourrait être l'occasion de planifier une économie bas-carbone, on risque de faire exactement le contraire et d'offrir une bouée de sauvetage à l'économie du carbone.
3. Surtout, beaucoup de gouvernements risquent d'en profiter pour remettre en cause les mesures de lutte contre le changement climatique, au nom de la relance économique. La Tchéquie et la Pologne demandent déjà l'abandon du Green New Deal européen.
4. Surtout, les mesures de confinement actuelles risquent d'instiller l'idée que la lutte contre le changement climatique demande l'arrêt complet de l'économie. Et plus tard, je doute fort qu'on se souvienne de l'époque du confinement comme d'une période bénie, sur le mode : "bien sûr c'était un peu pénible, mais c'était super pour le climat". Il y a véritable risque de rejet massif des mesures de lutte contre le changement climatique si l'on dit, comme certains activistes en ce moment, qu'il faudrait "faire pareil pour le climat".
Attention donc à cette rhétorique qu'on entend beaucoup : "Appliquons pour le climat les mêmes mesures que pour le #COVIDー19", ou encore "l'épidémie est une répétition générale avant le changement climatique". C'est irresponsable et dangereux. Parce que la crise du #coronavirus et le changement climatique ont certes beaucoup de points communs, mais sont fondamentalement différentes : pour l'instant, la pandémie touche surtout les pays industrialisés (Chine, Europe, USA). Le changement climatique, c'est l'inverse ! On ne peut pas espérer des bénéfices immédiats pour soi-même. Surtout, le changement climatique n'est pas une "crise": c'est une transformation irréversible. Il n'y aura pas de retour à la normale, pas de vaccin. Il faut des mesures structurelles, pas conjoncturelles.
Attention donc aux formules quasi religieuses du type : "la nature reprend ses droits", ou "la Terre se venge". D'abord les épidémies existaient avant le changement climatique, et surtout ce n'est pas comme ça qu'on va penser rationnellement l'après-crise. Alors qu'il faudrait s'y mettre dès maintenant.
NDLR: "Une église bien remise au milieu du village. Il y a en effet fort à craindre de la reprise. Le capitalisme n'est pas mort, bien au contraire, il se nourri de ce genre d'événement. Ce confinement obligatoire va creuser les inégalités, faire le lit des replis identitaires et les choux gras des GAFAM pour mieux endoctriner le bétail que nous sommes."