« La servitude moderne est une servitude volontaire (Etienne de La Boetie), consentie par la foule des esclaves qui rampent à la surface de la Terre. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises qui les asservissent toujours un peu plus. Ils courent eux-mêmes derrière un travail toujours plus aliénant, que l’on consent généreusement à leur donner, s’ils sont suffisamment sages. Ils choisissent eux-mêmes les maîtres qu’ils devront servir. Pour que cette tragédie mêlée d’absurdité ait pu se mettre en place, il a fallu tout d’abord ôter aux membres de cette classe toute conscience de son exploitation et de son aliénation. Voila bien l’étrange modernité de notre époque. Contrairement aux esclaves de l’Antiquité, aux serfs du Moyen-âge ou aux ouvriers des premières révolutions industrielles, nous sommes aujourd’hui devant une classe totalement asservie mais qui ne le sait pas ou plutôt qui ne veut pas le savoir. Ils ignorent par conséquent la révolte qui devrait être la seule réaction légitime des exploités. Ils acceptent sans discuter la vie pitoyable que l’on a construite pour eux. Le renoncement et la résignation sont la source de leur malheur. »
Le constat de l’aliénation de l’homme brossé dans ce film, de la servitude moderne, rejoint assez bien celui de Christian ARNSPERGER dans son livre « Ethique de l'existence capitaliste ». Au niveau des solutions et conclusions, il en est par contre fort loin. La conclusion du film résume bien la pierre d’achoppement intemporelle d'une majorité de mouvements réactionnaires anti-capitalistes, qu’ils soient marxistes, alter-mondialistes ou syndicalistes. A croire que le capitalisme coule dans nos veines !? Comme le souligne Christian, « nous ne sommes pas seulement des êtres de raison intégrés dans un système capitaliste, nous sommes aussi des consciences capitalistes baignant dans une culture capitaliste ». Le film ne surprend donc pas par son dénouement révolutionnaire insuffisamment radical et abouti.
« Avant de vouloir créer autre chose, il faut parfaitement avoir compris et assimilé le fondement de toutes les sociétés : ambition, avidité et soif de posséder. Un esprit qui aura compris cela n’opérera pas simplement une mutinerie dans une prison mais opérera une réelle révolution dans son cœur et son esprit qui ouvrira alors la voie d’une civilisation radicalement différente. » Jiddu KRISHNAMURTI, Le sens du bonheur, p. 191.
« La fixation capitaliste trouve ses racines dans le fait que tout en étant des corps et des psychés capitalistes, dans une culture et un système économique et politique capitalistes, et avec une conscience capitaliste de nous même (course au rendement, à l’innovation, la compétitivité, l’excellence, etc.), nous sommes aussi des complices de la logique du système capitaliste parce que nous attendons d’elle des réponse à nos inquiétudes existentielles et à certaines de nos peurs les plus profondes. » Christian ARNSPERGER, Etique de l’existence post-capitaliste, p. 56.
Cette réponse à nos angoisses existentielles, le capitalisme l’a apporté avec beaucoup de finesse. Il s'est en effet attaqué à notre for intérieur, à nos peurs et angoisses existentielles: souffrance, finitude, échec, dépendance... Plus fourbe et plus rusé, il ne s'y est pas pris par le haut comme le communisme mais par le bas. Il a titillé la corde sensible de notre ego exacerbé par la peur de manquer et de mourir. Il a rongé nos fondations pour faire aujourd'hui partie de la maison. A tel point que nous pensons tous que l'assouvissement de notre bonheur égoïste finira bien par retomber positivement sur les autres. Le capitalisme n'est rien d'autre que la somme de ces deux maximes: « moi d'abord, les autres après », « après moi le déluge ». Même s'il nous a sorti de l'ornière de la théocratie et du féodalisme, il n'en reste pas moins un système de domination. Domination d'autant plus sournoise et perverse qu'elle nous fait croire qu'il n'en est rien.
Par son culte de la croissance, de la propriété et de l’appropriation de biens il nous a construit une gangue de protection. Son accumulation de biens nous rassure. Son apologie des libertés individuelles nous apaise. Ses louanges de l’esprit d’initiative et de compétition nous confortent dans notre ego et notre soif de posséder. Le capitalisme est devenu notre grande religion séculière à tous.
En modifiant notre niveau de conscience, le capitalisme constitue un funeste et sournois substitut à l'épanouissement de l'homme.
Pour en sortir, nous devons employer d’autres outils que ceux que le capitalisme cherche promouvoir. Nous devons quitter la sphère mécaniste et matérielle pour entrer dans une véritable "réflexion-méditation" post-capitaliste à la fois personnelle et collective.
Nous ne pouvons nous permettre le luxe du militantisme soixante-huitard qui a tout misé sur l'individuel et le subjectif, ni celui du militantisme marxiste critiquant les institutions et le système sans autocritique. Le temps du changement est à l'équilibre, au Tao des cultures, des savoirs et des systèmes.
La confrontation directe n'est plus de mise tant ce qu'elle cherche à combattre puise ses sources au plus profond de nous. Les circonvolutions et mécanismes du système sont tels qu'il nous faut l'accepter de manière consciente et critique! Nous devons entamer ce que Christian ARNSPERGER appelle un « militantisme existentiel ». Un militantisme constant et profond qui s'attaque aux dysfonctionnements collectifs et systémiques tout en procédant à une réelle introspection personnelle. La satisfaction personnelle et libératrice est essentielle pour ne pas sombrer, une fois de plus, dans un mutisme démobilisant qui ne ferait qu'avaliser la logique systémique et aliénante en place.