Un petit extrait du site les mots ont un sens: Franklin Roosevelt disait que "le premier des droits de l'homme est celui de pouvoir manger à sa faim", aujourd'hui, notre élite économique lui rétorque que "le premier des droits de l'homme d'affaire est de pouvoir affamer à sa guise". Mais rassurez-vous, les pauvres... vous ne faites pas ça pour rien. Un jour, quelque part, un actionnaire bien en chair aura une petite pensée pour vous, du haut de son yacht flambant neuf. A moins qu'il ne soit trop occupé à spéculer à la hausse sur les denrées alimentaires.
A quand l'emprunt pour pouvoir respirer, bouger, danser, vivre???
La croissance (matérielle) n'est possible que grâce à UN GROS MENSONGE appelé crédit ou dette. La croissance n'est possible que grâce à l'exploitation de la crédulité et des faiblesses humaines via la publicité, le marketing et le démarchage commercial.
Exploiter les Autres et la Terre a toujours été possible mais aujourd'hui, mondialisation oblige, les limites matérielles et morales se font de plus en plus pesantes. Acheter à crédit, selon les règles en vigueur et selon l'actuelle conception de l'économie et de la richesse, c'est jouer dans l'espace et le temps pour obtenir tout de suite ce qu'il n'est matériellement et raisonablement pas possible d'obtenir autrement. Acheter à crédit, tel qu'on nous le propose tout le temps, c'est mentir. C'est mentir sur l'avenir, mentir sur l'état de la planète, mentir sur notre autonomie et celle des autres. C'est ignorer les limites par pur égoïsme. Un ego conditionné par l'espace et le temps et pilier de notre système économique. Raison pour laquelle les véritables portes de sorties consistent en deux mots clés: LOCAL et PRESENT.
Dramatique est la baisse du pouvoir d'achat. Mais d'autant plus dramatique est le peu de lucidité de ceux qui s'en plaignent. Ceux qui manifestent un jour et qui ont contracté un emprunt chez leur concessionnaire auto la veille. Ceux qui crient le plus tant ils sont accros aux fastes éphémères d'un régime de dépendance et d'acquis matériels individuels. Il y aurait pourtant lieu de bien comprendre les tenants et aboutissant du système capitaliste concurrentiel dans le quel nous baignons tous et que beaucoup encensent encore trop souvent. Un système de pressurisation sociale et environnemental pour le plus grand bien du capital. Un système à "basse pression salariale" - comme le dit si bien Frédéric Lordon - et à "haute pression d'endettement" ou pourrait-on dire à "haute pression d'arraisonnement et d'égoïsme".
Ci-dessous, quelques extraits du texte Changement d'époque, par Frédéric LORDON.
Pouvoir d'achat
Le contresens de la concurrence dans la grande distribution comme stratégie de redressement du pouvoir d’achat est exemplaire de l’impasse systématique qui fait attraper le problème par le côté des prix et jamais par celui du salaire : lorsque le salarié revendique, on répond au consommateur… Mais la baisse des prix qu’on sert à ce dernier est cela même qui met sous pression le salaire nominal du premier, puisque l’ajustement concurrentiel des prix procède par celui des coûts… salariaux !
Merveille de la concurrence et preuve s’il en fallait de la remarquable cohérence interne du capitalisme déréglementé, les salariés jetés à la rue par un plan de délocalisation, décidé au nom de la compétitivité des prix, n’ont pas d’autre ressource que d’aller faire leurs courses au hard discount qui est l’extrémité la plus féroce de la chaîne concurrentielle, et activent précisément tous les mécanismes dont ils viennent d’être les victimes. Les salariés, à leur corps défendant, donnent ainsi « raison » à l’enchaînement même qui les maltraite, et contribuent, faute de toute autre possibilité, à le reconduire. On peut donc être tout à fait certain que les efforts déployés pour sauver le pouvoir d’achat par la concurrence n’auront d’autre effet que de précipiter le salariat un peu plus profond dans la difficulté matérielle, et ceci jusqu’au point où « s’imposeront » comme seules solutions restantes celles qui ont déjà été si bien pratiquées aux Etats-Unis : l’allongement de la durée du travail – mais nous y sommes déjà – et le relais massif des revenus défaillants par le crédit à la consommation – juste deux petites décennies de retard.
ENDETTEMENT
(…) L'endettement c'est la drogue dure d'un régime de croissance à basse pression salariale (…)
Le crédit:
Mais les journées n’ayant que 24 heures et les limites en cette matière étant vite atteintes, la véritable parade au défaut de consommation intrinsèque au régime de déréglementation générale s’impose comme une évidence : l’endettement ! Si le pouvoir d’achat des ménages stagne ou régresse, mais que le capital réclame malgré tout des débouchés intérieurs, quoi de plus logique que d’étendre par le crédit la capacité de dépense des salariés au-delà de leur revenu ? On ne s’étonnera pas qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, qui ont quelques longueurs « d’avance » dans cette pente, le taux d’endettement des ménages par rapport à leur revenu disponible soit respectivement de 120% et 140%... Le président Sarkozy se flatte qu’il n’en soit pas ainsi en France. Mais tout ce qu’il fait y mène, ou plutôt y mène encore plus vite, car ce taux, de 68% en 2006, explose littéralement depuis dix ans, date d’installation dans un régime de « mondialisation franche », qui trouve ici un de ses symptômes les plus caractéristiques.
La titrisation:
La titrisation est une technique qui permet aux banques de se défaire de leurs crédit aussitôt qu'accordés, et de les vendre sous la forme d'instruments négociables à des agents généralement non-bancaires et sur des marchés ad hoc. La titrisation à permis aux banques de se libérer de leurs contraintes d’émission, elle a permis de propulser dans l’économie des volumes de crédits supplémentaires astronomiques, autorisant ainsi de nombreux ménages, à qui leurs revenus sous pression l’interdisaient formellement, de financer les trois gros postes de l’existence étasunienne, à savoir la maison, la voiture et les études universitaires des enfants. On dira que ce sont là des investissements qui n’ont aucun caractère distinctif et qu’on les retrouverait, à l’identique, acquittés par les ménages européens. À ceci près, d’une part que, dans bon nombre de pays européens les études universitaires sont sinon gratuites, du moins peu coûteuses, et qu’aux Etats-Unis le poste « université » est parfois plus proche en volume de la maison que de l’auto. Et d’autre part que la titrisation combinée à l’agressivité du marketing bancaire a entraîné dans la dette immobilière des catégories de ménages qu’on n’aurait jamais laissé y entrer ailleurs – les subprimes bien sûr.
Enfin, pour que le tableau soit complet, encore faut-il y ajouter que, loin de s’être cantonné au financement de ces biens durables, sortes d’équivalent de l’investissement pour les ménages, le crédit bancaire étasunien s’est en fait avéré le complément indispensable du financement des dépenses courantes auxquelles le seul salaire ne suffit plus à pourvoir. C’est pourquoi dans les grandes masses de crédits titrisées, à côté de l’immobilier, des crédits autos et des prêts étudiants, on trouve les cartes de crédit. Drogue dure d’un régime de croissance à basse pression salariale, la dette des ménages est poussée jusqu’à ses dernières limites. Ainsi le procédé du Home Equity Loan ré-extrait de la capacité d’endettement au fur et à mesure que le ménage rembourse sa dette immobilière et à concurrence de la « part » de sa maison dont il est effectivement devenu propriétaire à tel moment de son calendrier de paiement. Il n’est donc pas besoin qu’un emprunt soit intégralement soldé pour pouvoir en recontracter un autre. Au fur et à mesure qu’un ménage se libère d’une dette ancienne, il est déclaré apte à en porter immédiatement une nouvelle.
Mais encore:
Mais il faudrait faire la liste complète de ces procédés, et pas seulement financiers, par lesquels les institutions financières s’efforcent d’étirer au maximum la capacité d’endettement des ménages et surtout de la saturer en permanence, pour ne pas même parler des intérêts quasi-usuraires (les cartes de crédits peuvent porter des intérêts allant couramment jusqu’à 20 voire 30%), des frais divers exorbitants qui aident les prêteurs à tondre un peu plus leurs clients, et surtout de ces formes de démarchage séparées de l’escroquerie pure et simple par des nuances de plus en plus ténues, comme celle qui fait matraquer des personnes déjà quasi-faillies avec de nouvelles offres : « We think you deserve more credit » (« Nous pensons que vous méritez plus de crédit ») annonce joyeusement cette enveloppe reçue par une femme qui lâche déjà 28.000$ d’intérêts au titre de ses divers prêts sur son revenu annuel avant impôt de 48.000$ et vient de perdre son emploi ; « you are prequalified » poursuit l’enveloppe porteuse de bonnes nouvelles, quelle chance ! – quelle tragique ironie [3]… L’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), l’une des agences de supervision des banques, a fini par s’émouvoir de pareils excès et surtout de ce que l’approche du crédit par les banques a sensiblement changé en quelques années : « le point important pour les prêteurs n’est plus tant que les crédits à la consommation soient remboursés mais que les prêts deviennent (pour les banques) des actifs perpétuellement rémunérateurs » – le mot important étant ici bien sûr « perpétuellement » – s’inquiète non sans raison Julie Williams, chief counsel de l’OCC [4].
Petites crises et grande crise du capitalisme étasunien
1) le cours du capitalisme est scandé en périodes au cours desquelles l’accumulation du capital s’opère selon une certaine « logique » d’ensemble – on parle de régime d’accumulation ;
2) cette logique, toujours imparfaite, engendre continûment des déséquilibres mais rattrapés dans le cadre du régime d’accumulation et par le jeu même de ses mécanismes – on parle de petites crises ;
3) mais ceci seulement jusqu’au point où un cumul de tensions, non pas venues du dehors mais engendrées du fait même de la logique d’accumulation en place, ne peut plus être accommodé « de l’intérieur », ouvrant une grande crise qui signale l’arrivée aux limites du régime en place et n’admet pour résolution que la reconstruction tâtonnante d’une nouvelle séquence historique d’accumulation du capital. Or, à bien des égards, la série des crises financières, et son « couronnement » par la crise du crédit font penser à la dichotomie régulationniste « petites crises » / « grande crise ». Devenus comme la marque de fabrique du capitalisme déréglementé, les accidents financiers à répétition ont été les manifestations successives des déséquilibres de valorisation constamment recréés du fait de l’instabilité intrinsèque des marchés de capitaux libéralisés, donnant incidemment du fonds à l’idée que, parmi les multiples déréglementations, celle de la finance occupe une place distinctive, puisque le régime d’accumulation en vigueur aura donné à ses « petites crises » des expressions presque exclusivement financières.
Conclusion
N’est-ce pas l’enseignement principal de cette n-ième, mais singulière, secousse de la finance en tant qu’elle signale les limites du régime d’accumulation où elle se trouve incluse ? Si l’alternative est bien celle que s’apprêtent à rencontrer les Etats-Unis, à savoir le binôme « concurrence dépressionnaire du pouvoir d’achat et relais par le crédit titrisé » ou bien « finance un peu re-régulée et croissance molle », la conclusion s’impose avec évidence : fermer le privilège de profitabilité de la finance se justifie en soi, mais si la question véritablement posée déborde le seul cadre de la finance, alors la réponse se doit d’avoir la même extension. En d’autres termes, s’il n’y a pas crise de la « finance seule » mais crise – avérée ou à venir – du régime de croissance, c’est l’ensemble des formes institutionnelles du « capitalisme déréglementé à dominante financière » qui appelle une profonde transformation – et notamment d’engager celle de la concurrence immédiatement après celle de la finance.