Qui n’a jamais vu ces bons multicolores émis par les chaînes de restaurants ou les centres commerciaux qui atterrissent dans nos boîtes aux lettres avec la promesse de réductions sur tel ou tel achat? Pourquoi les régions ne pourraient-elles pas utiliser un système comparable ? Cette idée à été proposée à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu en 2002 à Steyerherg (Basse-Saxe) et est devenue aujourd’hui la base d’un projet bien concret, qui rencontre un succès incontestable parmi les participants de tous les secteurs.
Le Chiemgauer est un bon qui fut initialement émis par l’école Steiner de Prien am Chiemsee: l’initiateur du projet, Christian Gelleri, l’a pensé d’emblée comme un moyen d’échange complémentaire local. Christian Gelleri enseignait l’économie à la Waldorfschule de Prien, en Bavière, et il a conçu ce projet initialement comme un exercice pratique pour ses étudiants et étudiantes.
Le système mis au point par Gelleri se fonde sur une idée simple: créer un moyen de paiement contribuant au développement de la région et s’assurer le soutien des commerçants et des petits entrepreneurs locaux en leur proposant un espace publicitaire. Les commerçants impliqués dans le projet — c’est-à-dire ceux qui acceptent les Chiemgauer comme moyen de paiement — reçoivent en échange de leur soutien un espace publicitaire dans différentes revues et publications. Ce «marché» est très intéressant pour les petits commerçants, dont les dépenses de publicité représentent en général entre 5 % et 10% du chiffre d’affaires. Les frais d’acquisition d’un nouveau client sont encore plus élevés.
Toute personne ou association locale qui souhaite s’impliquer dans le système doit acheter des bons auprès de la centrale d’émission — à l’origine, il s’agissait de l’école de la ville — et reçoit un bonus, qui s’élève à environ 3 % de la valeur nominale. On obtient donc 103 Chiemgauer pour le prix de 100 euros.
Comment fonctionne un Chiemgauer?
Les personnes intéressées achètent ces Chiemgaueruniquement avec des euros. Avec ces bons, les participants peuvent payer les commerçants qui les acceptent. Les commerçants qui reçoivent ces bons ont alors un choix: soit ils demandent à échanger leurs bons contre des euros, auquel cas ils doivent payer des frais de change équivalant à 5 % de la somme; soit ils les utilisent pour payer des fournisseurs, auquel cas ils ne perdent pas ces 5 %. Avec ces bons, ils peuvent, s’ils le souhaitent, rémunérer en partie leurs salariés, ou, par exemple, payer la publication d’une petite annonce commerciale dans le journal local. La centrale d’émission couvre ses frais d’émission (impression, etc.) avec la marge de 2 % qui se dégage entre le bonus de 3 % garanti aux acheteurs et les 5 % de frais de change.
Ce sont les parents de l’école qui, les premiers, ont acheté des Chiemgauer. Par le biais d’un système d’abonnement qui leur permettait d’échanger, par exemple, tous les mois, 200 euros contre 206 Chiemgauer, ils ont donné l’impulsion nécessaire au lancement du projet et à son bon fonctionnement. Les marges dégagées grâce àces abonnements ont permis à l’école de financer des travaux d’agrandissement. Petit àpetit, d’autres initiatives et d’autres participants se sont associés au système, qui s’est bientôt étendu àtoutes les zones de la région (Voir les détails de l’expansion géographique et des participants sur le site www.Chiemgauer.info)
La circulation de la monnaie est garantie par une sorte de système de redevance. Techniquement, cela s’appelle un demurrage, l’équivalent du coût de parking pour l’argent. C’est également ce que l’on appelle une monnaie fondante (Silvio Gesell). C’est exactement l’inverse d’un intérêt: plutôt que de recevoir des intérêts parce qu’on garde l’argent dans un compte, le demurrage est un coût pour motiver la circulation de l’argent. Dans le cas du Chiemgauer, au début de chaque trimestre, on doit coller sur les bons un timbre équivalant à 2 % de sa valeur faciale, pour que la monnaie reste valable. Les revenus générés par les timbres assurent une rentrée d’argent supplémentaire pour financer différents projets de nature sociale. En 2008, une enquête auprès des utilisateurs du Chiemgauer a été réalisée pour décider s’il valait mieux simplifier le système en éliminant OU réduisant la fréquence des charges de demurrage. La surprise fut que les commerçants, qui initialement étaient méfiants vis-à-vis du demurrage, sont maintenant enthousiastes. Un propriétaire de cinémas, par exemple, expliquait qu’il y a chaque fois un afflux de clients nouveaux qui se manifestent pendant les dernières semaines du trimestre parce qu’ainsi les gens peuvent éviter d’apposer eux-mêmes les timbres de demurrage. Pour les commerçants, ce sont les meilleures semaines du trimestre!
Une étude réalisée sur la circulation du Chiemgauer a également révélé que les bons en Chiemgauer circulent en moyenne vingt fois par an, comparativement à seulement trois fois et demi pour des euros. C’est-à-dire que le Chiemgauer crée presque six fois plus d’affaires et d’emplois que l’euro!
Fin 2006 il y a eu émission d’e-Chiemgauer, des Chiemgauer électroniques. Après deux ans, ils circulent environ dix fois par an, ce qui est la vélocité qu’avaient atteint les bons après deux ans.
Au début, les commerçants avaient tendance à échanger leurs Chiemgauer pour des euros à la première occasion. Maintenant, ils utilisent de plus en plus les Chiemgauer pour effectuer les paiements à leurs propres fournisseurs, ce qui leur permet d’éviter de payer les 5 % de frais de change. Cela explique également pourquoi la vélocité de circulation augmente après plusieurs années d’utilisation.
L’effet sur tous les participants est clair: ils paient en Chiemgauer dès qu’on leur en offre la possibilité et préfèrent dépenser le Chiemgauer à l’euro, surtout pour certains types d’achats. Et c’est bien le but. Les entreprises participantes de la région ont tout lieu de s’en réjouir puisque leurs activités ne s’en portent que mieux. Et les recettes du système profitent à des projets environnementaux, sociaux ou culturels portés par des ssociations locales. Par exemple, l’école Waldorf reçut ainsi un revenu supplémentaire de quelque 6000 euros en 2007.
Les commerces qui acceptent ce moyen d’échange doivent consentir à un petit coût supplémentaire. Mais cela reste moins cher que les moyens traditionnels disponibles pour attirer des nouveaux clients ou garder les anciens: la publicité, les réductions de prix ou les bons à découper dans les journaux. De plus, ils savent que cette perte financière, du reste peu importante, soutient les activités des associations locales. Par ailleurs, contrairement aux cartes de réduction proposées par certains grands magasins, les informations relatives au client ne sont pas utilisées à des fins commerciales (voir www.chierngauer.info)
L’avantage du système est que l’on peut changer ses bons en euros, et inversement, selon les dépenses que l’on doit effectuer. L’existence de cette passerelle entre les deux systèmes monétaires permet également d’éviter un gonflement irresponsable de la masse de Chiemgauer en circulation.
Le Chiemgauer s’est associé récemment à un système local voisin, le Sterntaler. Ensemble, ils sont maintenant utilisés par huit cent vingt commerces et entreprises divers. Dix succursales de banques locales sont maintenant émettrices de Chiemgauer, ainsi que trente autres négoces. Le volume en circulation atteint l’équivalent de plus de 250.000 euros à la mi-2OO8, dont 130.000 sous forme de bons et 120.000 sous forme électronique. Ces montants peuvent paraître modestes, mais ils créent quand même un chiffre d’affaires équivalant 3 800 000 euros par an pour l’économie régionale(1). De plus, comme la moyenne des négoces n’accepte le paiement en Chiemgauer en moyenne qu’à 80 % du prix total(2), il faut multiplier ce chiffre d’affaires par un tiers pour atteindre un total de 4.750.000 euros(3). Finalement, on estime qu’une fois que des clients obtiennent des informations sur un négoce par le réseau Chiemgauer ou par son site sur la toile, ils achètent en euros directement, même lorsqu’ils n’ont pas de Chiemgauer à dépenser. Ce volume par «ricochet» est estimé au minimum à un demi-million d’euros. Cela veut dire que le modeste volume de 200.000 Chiemgauer génère un volume d’affaires et d’emplois correspondant à plus de 5.000.000 euros.
Il est intéressant de remarquer que des banques se sont également mises à encourager le Chiemgauer parce que les participants placent leurs euros sur un compte bancaire et ne les retirent que quand ils ont besoin de Chiemgauer. C’est pourquoi la banque GLS collabore maintenant étroitement avec les organisateurs du Chiemgauer. Grâce à ce partenariat, on peut maintenant retirer des Chiemgauer dans certains distributeurs automatiques de billets dans la région, De plus, les capitaux avec lesquels les Chiemgauer sont achetés s’accumulent au fil des années et peuvent être distribués sous forme de crédits à court terme, par exemple à une petite entreprise en difficulté qui aurait besoin de rembourser un découvert.
En Australie, dans un projet comparable, quoi qu’avec une orientation plus commerciale, 70 % des bons avaient été échangés en dollars à la fin de la première année. La deuxième année, seuls 70% des bons avaient été changés: les dollars déposés sur les comptes bancaires ont permis de racheter ensuite plusieurs firmes australiennes(4).
L’euro comme standard de mesure?
La question de savoir si la valeur du regio doit observer une stricte parité avec l’euro reste une question ouverte. La parité euro/regio peut être utile dans la mesure où elle simplifie les éventuelles conversions et permet aux commerçants de ne devoir afficher qu’un seul prix. Il est, en tout état de cause, important de fixer une clause garantissant la convertibilité du regio en euro, à tout moment. La parité facilite le passage d’un système monétaire à l’autre. Si l’on voulait se départir de l’euro, on pourrait, par exemple, prendre comme unité de compte le coût moyen d’une heure de travail, le coût d’un mètre cube d’eau, d’un gramme de charbon ou d’un kilowatt d’électricité, sur le modèle de certaines initiatives japonaises. Ces unités de compte très matérielles présentent cet avantage d’être protégées contre l’inflation.
Note :
(1) 130.000 Chiemgauer en bons en circulation x 20 = 2.600.000 et 120.000 Chiemgauer en circulation x 10 = 1.200.000 en 2008.
(2) La plupart des négoces acceptent les Chiemgauer à 100%, mais dans le commerce en gros entre négoces, c’est rarement le cas, avec une moyenne de 70 % d’acceptation de Chiemgauer. Gelleri estime qu’en moyenne, sur l’ensemble des transactions, l’acceptation est de l’ordre de 80%.
(3) 3.800.000 euros divisé par 0,8 représente 4.750.000 euros.
(4) Le Save Australia Buyers Club a précisément été créé pour organiser le rachat progressif de firmes australiennes selon Robert Walsch, qui est à l’origine du projet, 80% des entreprises australiennes sont la propriété d’étrangers qui, en retour, ne paient que 6% des impôts perçus par le gouvernement fédéral australien. En effet, la plupart de ces firmes ont installé leurs sièges sociaux dans des paradis fiscaux comme les îles Cook, ce qui leur permet de défiscaliser les profits de leurs filiales australiennes. Pour faire évoluer cet état de fait, le Save Australia Buyers Club émet et vend des bons qui circulent ensuite comme une véritable monnaie. Grâce aux recettes de la vente de ces bons, un capital s’accumule, qui permet de racheter des entreprises australiennes.
Source :
Bernard LIETAER & Margrit KENNEDY, Monnaie régionales, de nouvelles voies vers une prospérité durable, p 113 à 118
Plus d’infos :
www.regiogeld.de Outre le Chiemgauer, il existe aussi les Tauber Franken, Ammerlechtaler, Sterntaler, Land mark, Styrrion, Eder taler, Berliner regional, Nah gold, etc.
En français sur TRANSVERSEL et sur WIKIPEDIA
Lire enfin, dans Horizons et débats un entretien très intéressant avec Christian Gelleri, fondateur du Chiemgauer.